Si l’on se réfère aux deux siècles écoulés, la Corse n’a jamais été recouverte d’une végétation arbustive aussi abondante. Cette fortevégétalisation fragilise considérablement les espaces insulaires ruraux ou péri-urbains vis-à-vis des incendies. Or, la faible maîtrise de l’extension des espaces emmaquisés (là où le maquis s’est développé) coïncide avec le fort recul du pastoralisme notamment caprin dans les zones de piémont et de montagne.
Ainsi, loin d’être la source des incendies, le pastoralisme, à y regarder de près, constitue un allié de la lutte contre les incendies. Ce constat largement partagé par les experts rencontre cependant un certain nombre de préjugés tenaces dans l’opinion qui réduit trop souvent les activités pastorales à un facteur de développement des incendies. De nombreuses régions méditerranéennes se sont dotées depuis longtemps des politiques et des institutions nécessaires pour tirer partie des activités pastorales. Le travail a porté ses fruits, il est aujourd’hui possible d’objectiver l’apport des surfaces emmaquisées (les spécialistes parlent de parcours) tant alimentaire que dans la conduite des animaux. Parmi les résultats obtenus, la méthodologie du diagnostic pastoral est prometteuse.
L’objectif en est simple. Il s’agit d’évaluer les ressources d’une unité pastorale en affectant à chacun des espaces qui la composent une valeur synthétique qui combine plusieurs facteurs. L’avantage majeur du diagnostic pastoral est de constituer un instrument de gestion qui éclaire et intègre l’ensemble des usages d’un espace donné (parcours d’élevage, chasse, loisirs et plus généralement gestion environnementale). Il n’est pas étonnant que les demandes de diagnostic soient le plus souvent le fait d’associations d’éleveurs ou de collectivités confrontées à des problèmes de gestion et à la complexité des situations. Aussi, le préalable à tout diagnostic consiste à identifier les utilisateurs et les différents usages d’un espace donné (protection d’un maquis contre les incendies, protection de la flore et de la faune sauvage en présence de troupeaux etc.). Les situations d’usage d’un même espace, support d’intérêts pluriels, nécessitent une expertise dans un objectif de gestion concertée. Les grandes étapes du diagnostic pastoral à proprement dit, sont les suivantes.
Le diagnostic repose dans un premier temps sur une enquête. Celle-ci comporte des observations de pratiques d’élevage, le repérage des déplacements du troupeau et des entretiens auprès des éleveurs.
Sur cette base et dans un deuxième temps, une cartographie est réalisée avec l’éleveur, sur laquelle figurent les différents secteurs du territoire (u rughjone), les zones de pâturage, les circuits du troupeau, les obstacles au déplacement des animaux (relief et végétation), etc. Le découpage du territoire pastoral en secteurs suppose une connaissance fine de la zootechnie des élevages extensifs, des espèces végétales locales et des savoirs d’élevage.
Dans un troisième temps, les ressources pastorales sont décrites et leur valeur est estimée au moyen d’indicateurs synthétiques qui intègrent chacun des couverts végétaux (herbacées, arbustes) ainsi que les contraintes pastorales (relief, équipements) et non-pastorales. Il s’agit de savoir combien d’animaux peuvent pâturer sur le territoire pastoral. Il s’agit également de veiller à un bon emplacement des équipements pastoraux. Une fois réalisé, le diagnostic pastoral constitue un instrument d’élaboration d’un plan de gestion pastoral et un moyen de raisonner la coexistence du pastoralisme avec d’autres activités. Le diagnostic ouvre sur des propositions d’actions comme la modification du calendrier de pâturage ou des circuits (invistita) du troupeau, l’amélioration de la ressource pastorale par du débroussaillement par les animaux et/ou par des moyens mécaniques, ou encore l’aménagement des équipements pastoraux comme celui d’un point d’eau ou l’installation d’un parc. Enfin, la méthodologie du diagnostic pastoral peut être utilement associée à des opérations de regroupement et d’usage collectif du foncier comme dans le cadre des Associations Foncières Pastorales (AFP).
Émilie Dormagen
Ingénieur pastoraliste
De nombreuses régions se sont dotées depuis longtemps des politiques et des institutions nécessaires pour tirer partie des activités pastorales.